Confinement #3 - COVID-19, un virus qui rend visible ce qu'on ne voyait pas

Face au Covid-19, la stratégie choisie par une grande majorité de pays a été celle du confinement de la population. Pour citer nos voisin européens, l’Italie a commencé le 9 mars 2020, l’Espagne le 15 mars, 2 jours plus tard la France et depuis le 23 mars l’Angleterre. D’autres pays optent pour une toute autre stratégie, celle de l’immunité collective comme avait commencé à le faire Boris Johnson (désormais en soins intensifs) en Angleterre. Quelle que soit la stratégie adoptée, force est de constater que cette catastrophe est un test pour notre système, qui en révèle bien des failles.

“Observer attentivement, c’est se rappeler distinctement”. Edgar Allan Poe

La crise comme expérience sociale : des indices pour la suite ?

La vie sociale a besoin de "l'urgence" de temps en temps. Simplement pour réaliser sa propre existence et résistance. Une épidémie et éventuellement une pandémie sont un test dans de nombreux domaines : notre logistique et nos communications fonctionnent-elles bien ? Quelle est la capacité d’analyse et de prise de recul face aux fausses nouvelles (fake news) ? Notre résistance face à un énième krach boursier ?

Surprenantes illustrations posées juste ici, mais quel est le lien avec le sujet abordé nous direz-vous ?

Dans leur dernier livre L’entraide, l’autre loi de la jungle, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle montrent que la mythologie de « la loi du plus fort » a fait émerger une société devenue toxique, sans fondements solides dans le monde du vivant. Nous avons l’habitude de considérer les plantes, les autres espèces, comme des catégories distinctes, soumises à une unique loi, celle de la chaîne alimentaire, celle des relations de prédation.

L’entraide est pourtant présente partout, chez toutes les espèces et ce, depuis toujours. C’est un pilier de la théorie de l’évolution, c’est un pilier du vivant.

Les milieux hostiles font émerger l’entraide. Nous pourrions passer des pages et des heures à lister les différentes preuves que la nature (et même l’Humanité) peuvent nous offrir. Alors pour faire le lien (plutôt évident désormais) entre les photos ci-dessus, nous allons nous pencher sur le cas des manchots. Pour ceux qui ont vu la Marche de l’Empereur (pour les autres c’est le moment) vous vous souvenez surement de cette scène sublime d’un groupe de manchots, serrés les uns contre les autres par -200 ° celsius de ressenti. Plein vent, la glace se formant sur leur soyeux pelage, tour à tour, chacun finit par échanger sa place bien au chaud, avec celle d’un manchot totalement exposé au froid sur l’extérieur du groupe. C’est la seule méthode permettant la survie collective et par conséquent individuelle.

Un milieu d’abondance et de richesse comme celui de nos sociétés occidentales, permettent pour beaucoup le luxe de l’individualisme. Malgré cette réalité - loin d’être une fatalité - toutes les études sociologiques et psychologiques convergent: aux épicentres des catastrophes, entraide, calme et auto-organisation sont une constante.

« Il y a ce mythe selon lequel, après une catastrophe, c'est le chaos. Que les gens se déchaînent, qu'ils se conduisent mal et deviennent égoïstes”. “Ce n'est absolument pas ce que nos recherches montrent, ni ce que d'autres ont montré ces dernières années. L'idée d'un pillage généralisé qui se répandrait est tout simplement fausse. Les gens ne basculent pas tout à coup dans des comportements antisociaux. Ils vont aider plutôt leurs voisins, viennent au secours d'étrangers, leur proposent leur voiture, de la nourriture... Après un désastre, il y a beaucoup plus de comportements d'entraide que de comportements antisociaux. »

Tricia Wachtendorf, chercheuse au centre de recherche sur les catastrophes à l'université du Delaware pour Le cas Katrina : chronique d'un chaos fantasmé (OK Fred) sur arte.

Nous allons le voir tout au long de cette newsletter, nous pouvons nous questionner sur notre rapport à l’économie, et plus généralement sur ce système à l’arrêt depuis plusieurs semaines. Que voulons nous voir quand le confinement prendra fin? Comment voulons nous nous préparer à de prochaines crises (épidémiques ou non)? Quelles leçons en tirerons- nous ? Quel degré de participation, en tant que citoyen.ne et collectif désirons-nous engager pour s’assurer que nos visions et besoins soient entendus et respectés ?

Voici un extrait du discours de Nicolas Hulot, lors de la seconde session de la Convention Citoyenne pour le Climat, du mois de novembre 2019 réalisée par notre équipe de Citoyens reporters.

“J’espère que cette présence des citoyens, dans une institution qui pourrait peut-être être une émanation de cette chambre, elle soit confirmée sur la longueur parce que nos démocraties sont usées, fatiguées par rapport à la précipitation du temps, à la complexité (...) de combiner les enjeux du court terme et du long terme. Parce que la pression du court terme est toujours plus forte sur l’exercice des politiques que la pression du long terme.”

Un virus invisible qui rend visibles les inégalités

Outre son lien profond avec la crise écologique (cf. notre newsletter de la semaine dernière) cette épidémie met en exergue les inégalités économiques et sociales, présentes à (presque) tous les niveaux.

Voici le premier épisode d’une belle série docu photo/sonore de témoignages des travailleurs.e.s invisibles durant confinement. Réalisé par Croline Delboy

Lors de sa prise de parole du 16 mars 2020, Emmanuel Macron avait annoncé publiquement la mise en place d’un confinement total (visant à protéger l’ensemble de la population) en maintenant seulement les activités considérées comme “vitales” ou “essentielles” pour la société.

Dans cette première annonce, pourtant cruciale, plusieurs catégories de personnes n’ont pas été mentionnées et de fait, oubliées. Mais alors, qui sont les grand.e.s oublié.e.s de ce plan d’urgence?

Tout d’abord, celles et ceux qui ne peuvent faire face au confinement total: les personnes sans abris, les personnes vivant dans des conditions dangereuses (violences, insalubrité ...). Qu’en est-il des travailleur.s.e.s ou étudiant.e.s précaires qui, pour certain.e.s ont perdu leurs “petits boulots”. Même si depuis, certaines promesses ont été faites et plans de soutien mis en place, suite aux cris d’alarme d’associations et de citoyen.ne.s; cela reste encore insuffisant pour beaucoup.

Dans les jours qui suivent, ce confinement à géométrie variable continue via des prises de décisions sanitairement incompréhensibles. Des milliers de travailleur.s.e.s ne reçoivent le droit ni par le gouvernement, ni par leur entreprise de rester chez eux/elles malgré l’exercice d’une activité “non-essentielle” à la société : livreur.se.s (hors envois importants) ouvrier.e.s d’usines de confection de jouets, avions, … L’épidémie dévoile ces injustices que beaucoup ne voyaient pas.

«Je ne suis pas de ceux qui croient qu'on peut supprimer la souffrance en ce monde; la souffrance est une loi divine ; mais je suis de ceux qui croient qu'on peut détruire la misère. La misère est une maladie de la société, comme la lèpre est une maladie de l'homme. Elle peut disparaître comme la lèpre, oui. »

Victor Hugo : « Détruire la misère » (9 juillet 1849) - Discours appuyant la proposition de constitution d’un comité destiné à « préparer les lois relatives à la prévoyance et à l'assistance publique »

Peut-être avez-vous contribué à faire fonctionner ces multinationales qui mettent en danger leurs employé.e.s sur des activités superflues, sans vous en rendre compte; en commandant par exemple sur des sites de ventes en ligne ou en vous faisant livrer un repas alors que vous êtes en capacité de faire vos courses et de cuisiner (la perfection n’existe pas). En effet, ces commandes ont explosé et les travailleur.se.s subissent des cadences toujours plus soutenues pour livrer les populations cloîtrées chez elles. Voici quelques exemples :

« Dans chaque entrepôt Amazon sur le territoire, il y a entre 500 et 2 000 personnes. On est sur des grosses densités de population. Si on laisse ces endroits fonctionner presque normalement, ce n’est pas la peine de faire fermer la petite boutique du coin! »

Julien Vincent, le délégué syndical central CFDT d’Amazon France Logistique, pour Médiapart.

Sylvain, employé à Amazon Brétigny, raconte (preuve en images) pour Bastamag comment la direction met en danger les travailleurs en bafouant le droit du travail :

Amazon Brétigny, lorsque nous venons sur le site avec nos propres protections personnelles, la direction nous dit que l'on va faire peur aux gens et qu'on ne peut pas venir travailler comme ça. Ils nous les font enlever. On a la peur de mourir. Nous n'avons aucune protection. La direction nous force à prendre des congés payés si on vient travailler avec masques et gants. Des gens risquent leur vie."

Le confinement semble bien loin de la réalité de nombreu.x.ses travailleur.se.s français.e.s. Le travail précaire, où les employé.e.s ne peuvent pas se permettre de prendre des congés maladie de peur de perdre leur salaire, entrave ce qui est le plus nécessaire pour contenir une pandémie : agir en pensant aux autres. C'est pourquoi les politiques de santé publique doivent placer les intérêts des plus démuni.e.s au centre de leurs préoccupations.

Une précarité de l’emploi qui s’applique aux autres pays touchés par la pandémie. Selon une étude de la New Economics Foundation, rien qu’en Grande-Bretagne, un.e travailleur.se sur six occupe aujourd'hui un emploi peu rémunéré et précaire, où beaucoup ne bénéficient pas des protections accordées aux travailleur.e.s permanent.e.s, telles que les indemnités maladie.

Une précarité qui s’intensifie et continuera de s’intensifier dans les prochains mois. Selon une étude de l’Organisation internationale du travail, la pandémie ferait perdre sur le long terme cette année plus de 25 millions d’emplois dans le monde. Le manque actuel d’emplois causé par cette catastrophe touche près de 500 millions de personnes dans le monde.

Pendant ce temps, en France, c’est un.e salarié.e sur cinq au chômage partiel (soit un total de 4 millions).

Aux États-Unis, “10 millions de travailleurs.e.s” ont déposé des demandes de chômage en deux semaines seulement”.

Nous voulions conclure ce point en partageant cette vidéo, sur l’impossible confinement des pays du sud, publiée par RTBFinfo il y a quelques jours. Sans accès à l'eau ou à la nourriture, le confinement est impossible à respecter pour les personnes pauvres des pays du Sud. Migrations internes pour regagner leur village natal, répression étatique et policière dans certains pays pour non respect du couvre-feu ou confinement !

Se débarrasser de ce qui ne nous sert plus

Nous vous en parlions aussi la semaine dernière, cette crise est le moment pour aller collectivement vers une sobriété heureuse, base d’une société plus résiliente, comme l’explique dans son rapport “Transformer le régime de croissance” l’économiste Michel Aglietta.

« La Terre a cessé d’encaisser les coups et les renvoie de plus en plus violemment ». Cette phrase, tirée du dernier essai Où atterrir ? Comment s’orienter en politique de Bruno Latour, sociologue, philosophe et anthropologue des sciences, se prête parfaitement à la catastrophe sanitaire actuelle.

Alors que la biodiversité recule et que le climat se dérègle, nos sociétés globalisées et industrialisées se révèlent extrêmement fragiles face à la prolifération de ce type de virus.

Bruno Latour nous donne un conseil, crucial, celui de (re)définir deux mots essentiels à notre (sur)vie: “appartenir” et “subsister”.

Dans cette même perspective il rédigeait il y a quelques jours (30 mars 2020) un article intitulé “Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise“ nous proposant à la fin de se pencher et de répondre à son questionnaire.

“Il s’agit de faire la liste des activités dont vous vous sentez privées par la crise actuelle et qui vous donne la sensation d’une atteinte à vos conditions essentielles de subsistance. Pour chaque activité, pouvez-vous indiquer si vous aimeriez que celles-ci reprennent à l’identique (comme avant), mieux, ou qu’elles ne reprennent pas du tout.”

Toutes les techniques doivent être triées, testées, sélectionnées. On peut par exemple vouloir une agriculture plus productive tout en refusant de tuer les abeilles…

Un groupe de chercheur.se.s, d'artistes et d'activistes se sont réuni.e.s après la parution de l’essai Où atterrir ? pour explorer comment mettre en pratique les "nouveaux cahiers de doléance" et permettre aux citoyen.ne.s d’enquêter sur eux-mêmes pour identifier les injustices qu’ils subissent.

Bruno Latour vous présente la démarche en 24 minutes.

Pour une solidarité collective et systémique / Vers de “nouvelles solidarités”

On vous partage une toute nouvelle action, lancée par Pixelis #vousassurez, qui consiste à accrocher des rubans de couleurs à votre balcon et signifier votre soutien aux soignant.e.s durant cette période éprouvante.

Et en plus d’applaudir aux fenêtres, le vrai remerciement et soutien envers le corps soignant sera de répondre à leurs appels, ignorés depuis des années, en votant et s’impliquant pour des projets politiques dont l’objectif est le rétablissement du bon fonctionnement de notre service public.

On vous laisse avec ce récent article de l’historien Yuval Noah Harari (connu pour son livre Sapiens) paru dans Le Monde qui conclut à notre avis parfaitement cette newsletter.

« Le véritable antidote à l’épidémie n’est pas le repli, mais la coopération »

A très vite !

L’équipe Citoyens Reporters / On Est Prêt

LIRE AUSSI