Confinement #6 - Et si on reprenait le pouvoir ?

Cette semaine, honneur à la démocratie sur les réseaux sociaux d’On Est Prêt !

Notre rédac-cheffe Paloma Moritz prend les rennes de notre émission live du jeudi “dessine moi un monde nouveau” pour 1h30 de conversation avec Usul, Dominique Bourg et Amandine de la Convention pour parler de la “Notre démocratie face à l’urgence”.

La question environnementale est depuis quelques années un des sujets principaux de préoccupation des français au même titre que l’emploi et le pouvoir d’achat. Selon un sondage de l’Institut Montaigne, au mois de février 2020, pour 2 Français sur 3 l’exécutif n’en fait pas assez en matière de politique environnementale.

Les experts climatiques de l’ONU ont sonné l’alarme: il faut maintenir le réchauffement climatique en dessous de +1,5°C en 2100. De nombreux bouleversements planétaires désormais inévitables s'aggraveraient encore à partir de +2°C. Pourtant, en l’état actuel, notre politique climatique nationale, et plus largement les politiques climatiques des autres pays, ne permettent pas de rester sous le seuil des +1,5°.

Afin de limiter cet emballement du réchauffement climatique, il faut réduire de manière drastique nos émissions de gaz à effet de serre (GES). Pour vous donner une idée, en moyenne, un français émet (directement et indirectement) presque 12 t de carbone par an. Or, pour envisager une inversion de nos émissions de GES, il faudrait en émettre seulement 2 à 3 par an !

Comment faire passer des mesures radicales, pouvant être perçues comme coercitives par le peuple français? Autant vous donner la réponse immédiatement, c’est presque impossible ! Pourquoi ? Parce que celles-ci s'entrechoquent avec les lobbies et plus largement notre modèle de croissance. Nous l’avons déjà vu lors de la crise des gilets jaunes, les Français.e.s sont prêt.e.s à faire des efforts, mais ces efforts ne pourront pas être demandés de manière asymétrique.  

C’est pourquoi la démocratie, et plus précisément la démocratie délibérative et participative jouent un rôle prépondérant face à cette problématique. Les assemblées citoyennes sont vues comme une solution (parmi d’autres) pour répondre à ces enjeux de transition écologique et de justice sociale. Est-il envisageable de sauver la démocratie en même temps que le climat ? C’est en tout cas le parti pris de la Convention Citoyenne pour le Climat en France !

On vous en parle souvent, on a même une équipe de citoyens reporters qui travaille dessus depuis la première session. Cette semaine est donc l’occasion toute trouvée pour revenir sur cette fameuse Convention Citoyenne pour le Climat. Alors venez, on rembobine jusqu’aux origines de cette aventure démocratique et humaine inédite !

Retour sur la genèse de la Convention

Long story short : les Gilets jaunes ont donné naissance aux gilets citoyens, et les gilets citoyens à la Convention. Et oui ! Il ne s’agit pas d’une initiative du gouvernement, mais bien d’une initiative citoyenne ! Maintenant qu’on a votre attention, place aux explications !

Le 16 novembre 2018 a lieu la première manifestation de “gilets jaunes”, ce samedi là très peu de personnes faisant partie du “mouvement climat” rejoignent leurs rangs.

Pourtant, l’idée que les inégalités sociales et le changement climatique sont les deux faces d’une même pièce commence à faire son chemin. Entre les mois de décembre 2018 et mars 2019, l’équipe On est prêt dépense beaucoup de temps et d’énergie pour faire converger les mouvements sociaux et climat (sondage “Fin du monde, faim du mois, même combat”, 2e vidéo Affaire du siècle, co-préparation de la marche du siècle…). En mars 2019, cette convergence aboutit. Le 16 mars 2019,  la Marche du Siècle arborera fièrement des slogans tels que “fin du monde, fin du mois, même combat”.

Deux mois plus tard après l'apparition du mouvement des Gilets Jaunes, en janvier 2019, le collectif des gilets citoyens voit le jour, et écrit une lettre ouverte au Président de la République “Réussir le Grand Débat National : pour un nouveau souffle démocratique”. Cette lettre dresse plusieurs constats mais propose aussi des solutions. Dans le contexte du mouvement social des Gilets Jaunes, du Grand Débat et des marches pour le climat, elle est signée par des acteurs de ces mouvements, ainsi que par des experts en démocratie participative, des chercheurs et des élus locaux. Tout en « s'enthousiasmant » de l’idée du grand débat comme « occasion d’inventer collectivement de nouvelles pratiques démocratiques », les signataires y déplorent « la précipitation, le manque d’engagement et de transparence » du processus.

On se retrouve donc dans un contexte de défiance énorme entre les personnes qui votent et celles qui sont élues, avec la sensation que les aspirations des citoyens ne sont pas assez représentées. Qu’à cela ne tienne, en reprenant l’idée des assemblées citoyennes mentionnée dans la lettre, Démocratie Ouverte et les Gilets Citoyens finissent par obtenir, après plusieurs mois de négociations, la création de la Convention Citoyenne pour le Climat, en association avec le CESE (Conseil Economique, Social et Environnemental).

La première session a lieu le 2 octobre 2019, et après de multiples rebondissements (grèves, covid-19... ) la dernière session se tiendra, nous venons de l’apprendre, ls 19,20 et 21 juin 2020 !

La Convention Citoyenne pour le Climat, kesako ?

Des numéros de téléphones (fixes ou portables) générés par l’algorithme d’un institut de sondage indépendant, plus de 250 000 appels passés, sms envoyés, des numéros non attribués, des refus, mais aussi des réponses positives, motivées par diverses raisons.

"Etes-vous intéressé par l’écologie ?”. En recevant le SMS, Arlette a d’abord cru à une “blague”. Daniel a pensé “que c’était encore une pub”. Les deux étaient loin d’imaginer qu’ils avaient été désignés pour participer à une expérience, il est vrai inédite en France : la convention citoyenne pour le climat.

La convention citoyenne pour le climat, vue de l’intérieur, L’indépendant, 21.02.2020

Mais du coup, comment fonctionne cet algorithme ? Qui le gère ? Qui sont ces citoyen.nes à priori représentati.f.ve.s de la population française ?

Plutôt que de vous citer des chiffres et faire des phrases à rallonge, Mathilde Imer, membre du comité de gouvernance de la Convention, (membre du collectif Gilets Citoyens et de Démocratie Ouverte) répond à toutes les questions que vous vous posez sur le processus de sélection des citoyen.ne.s tiré.e.s au sort dans cette vidéo.

Ce Comité de gouvernance indépendant du Gouvernement a été mis en place pour assurer l’accompagnement de la Convention afin de préserver son indépendance et le respect de sa volonté. Entre chaque session, des citoyen.ne.s tiré.e.s au sort y sont représenté.e.s.

Maintenant que vous y voyez un peu plus clair, penchons-nous sur la légitimité de ces citoyen.ne.s. Ils/ elles représentent ce qu’on appelle un échantillon représentatif, c’est à dire qu’il y a autant de femmes (51%) que d’hommes (49%) qu’au sein de la population française, mais aussi :

Comme le dit Mathilde dans cette vidéo :

“Il y a plein de manières légitimes, les élus aujourd’hui sont légitimes, parce qu’ils sont élus par la société française. Là, c’est une légitimité différente, qui est celle du tirage au sort et le fait de représenter le vécu des français. C’est pas là, les “meilleurs d’entre nous” qui par le processus d’élection sont choisis. C’est représenter le vécu des français dans leur globalité via le tirage au sort.”

L’enjeu de cet exercice là, c’est de tirer des personnes au sort, qui n’ont aucun intérêt (économique ou électoral), qui viennent se mettre au service de l'intérêt général pour quelques semaines ou mois, comme les personnes venant aux jury d’assises. Ils/elles sont formé.e.s, avancent sur des questions avec des expert.e.s, et confrontent leurs idées avec des personnes qui viennent de tous les horizons avant de délibérer !

L'objectif : faire sortir de cette Convention des mesures qui seront transmisent “sans filtre” au parlement, par application réglementaire ou référendum, comme se sont engagés à le faire Edouard Philippe ainsi qu’Emmanuel Macron.

Comment garantir un vrai processus démocratique ?

Afin de garantir un processus le plus transparent possible, de s’assurer que les citoyen.ne.s ne subissent aucune pression extérieure et travaillent de façon autonome, la Convention Citoyenne pour le Climat dispose de 3 garant.e.s : Anne Frango (nommée par le Président de l’Assemblée Nationale), Michèle Kadi (Nommée par le Président du Sénat) et Cyril Dion (Nommé par le Président du CESE). Nous avions d’ailleurs avons interviewé ce dernier sur son rôle au sein de la Convention pour notre compte instagram Citoyens Reporters.

Le Comité de gouvernance a proposé à des chercheuses et chercheurs de toutes disciplines de suivre la Convention citoyenne, à cet effet un appel public a été lancé. Une trentaine de personnes ont ainsi exprimé leur intérêt pour la Convention citoyenne pour le climat, qui touche à la fois à son objet même, ses modalités et à ses résultats en termes de politiques climatiques ou d’exercice démocratique.

Formé par le Comité de gouvernance, le groupe d’appui est composé d’expertes et d’experts mobilisé.e.s, au titre de leurs expériences et compétences personnelles et non pas au titre de leurs fonctions dans des organisations, pour conseiller les membres de la Convention dans l’exploration des pistes de travail et l’élaboration des propositions de mesures des membres de la Convention.

Pour répondre aux questions factuelles des membres de la Convention, plusieurs centres de recherche afin de constituer une équipe de personnes ressources, “fact checkers”. Tous universitaires, ils sont issus de disciplines différentes afin de pouvoir répondre à toutes les questions des 150.  

Pour les curieux et curieuses, retrouvez l’intégralité des infos et du travail des 150 juste ici !

Basée sur le modèle d’assemblées citoyennes précédentes, elle en inspire de nouvelles !

En Irlande, au Texas, en Écosse, en Colombie britannique ou encore en Islande, on a constaté qu’une convergence sur des sujets compliqués était possible, et des décisions finales qui allaient  beaucoup plus loin que celles de politiques élu.e.s.

En Irlande, par exemple, pays profondément catholique, 2 assemblées citoyennes ont recommandé, après délibération, la légalisation du mariage pour tous et de l’avortement. Approuvées par référendum en 2015 et 2018.

On vous laisse regarder ces deux interviews de Dimitri Courant, doctorant en sciences politiques et spécialiste de la démocratie délibérative pour la chaîne youtube d’Alex Thoby.

Cet exercice démocratique absolument inédit sur la politique climatique, donne des idées à d'autres pays ! En effet, le pari est réussi : Allemagne, Pologne, Danemark, Espagne, … des assemblées citoyennes devraient voir le jour un peu partout en Europe.

En janvier, le gouvernement espagnol a par exemple, annoncé la création d’une "assemblée citoyenne" sur le changement climatique calquée sur le modèle français, rapporte le quotidien El Pais. Du côté allemand, la Convention suscite l’intérêt des citoyens et de plusieurs partis politiques. Au stade des discussions avec l’équipe de la Convention citoyenne, on trouve aussi la Pologne. Là-bas, plusieurs villes réfléchissent à la manière de sortir du charbon, combustible fossile dont le pays est encore extrêmement dépendant.

Il serait même possible d’envisager une assemblée citoyenne au niveau européen, une fois que l’exercice en France sera terminé et qu’il aura fait ses preuves !

En Angleterre, en ce moment même, 110 membres de la «Climate Assembly UK» ont eux aussi une mission: élaborer des recommandations pour parvenir à zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici à 2050. «Les Britanniques n’ont pas attendu de suivre l’exemple de la France, il s’agit vraiment de deux processus parallèles», explique Claire Mellier-Wilson, qui fait partie des groupes d’observateurs officiels des deux conventions. Cette assemblée a été inspirée des revendication d’Extinction Rebellion UK, dont la quatrième revendication est d’instaurer des assemblées citoyennes partout.

Si la démocratie délibérative et participative existent depuis longtemps, on voulait vous montrer qu’au niveau local, elles sont tout aussi pertinentes et faisables, et surtout, que cela existe déjà dans notre pays !

À Saillans, les habitants réinventent la démocratie, dans ce superbe article signé Reporterre, vous verrez comment une liste citoyenne ayant gagné les élections municipales, a mis en marche une véritable révolution via la démocratie participative.

Créer un assemblée citoyenne autour de la transition écologique, l’idée de la Convention Citoyenne pour le climat a jaillit en cascade au niveau local. Axel Duret, 17 ans et faisant partie de nos citoyens reporters a créé une assemblée dans sa ville, à Grasse : « Il faut pouvoir impulser des projets qui viennent des citoyens. Le but est que cette assemblée se réunisse tous les trimestres pour faire un point sur les projets en cours car il y aura un cahier des charges à remplir. »

Un programme à destination de tous les citoyens. Le comité d’organisation espère même toucher les personnes qui ne connaissent pas grand-chose à l’écologie. «Le problème, c’est qu’on se retrouve souvent entre personnes déjà engagées écologiquement. Pour avoir des moyens supplémentaires et de la crédibilité, il est indispensable d’élargir notre cercle. Nous rêvons qu’un climatosceptique rejoigne l’assemblée écocitoyenne. Nous avons beaucoup de documents à diffuser. L’inquiétude des citoyens doit se transformer en carburant. »

L’Assemblée Écocitoyenne se base sur trois constats :

  • Notre société doit évoluer
  • Les citoyen.ne.s demandent à avoir des responsabilités
  • Le lien social se dégrade

Pour répondre à ces problématiques, l’ambition de ce projet est de faire évoluer la société en redonnant des responsabilités aux citoyen.ne.s au niveau local. Le domaine d’action est très large car l’objectif est d’accélérer la transition écologique sur le plan social, environnemental mais aussi économique.

Nous venons de le voir, chaque assemblée citoyenne a ses propres objectifs et son propre système de gouvernance. Néanmoins, chacune d’entre elle entretient des liens avec les autres afin d’améliorer les processus et d'accélérer la démultiplication de ce genre d’exercice.

Où en sont les 150 ?

La Convention citoyenne pour le climat fait la démonstration qu’ “impliquer des citoyens ordinaires sur des enjeux politiques complexes au niveau national est possible”, observe la politiste Hélène Landemore dans une tribune pour le journal Le Monde, datant de février 2020. Cet exercice, représentatif de multiples réalités de la population française, permet trouver des solutions qui vont loin et qui sont acceptables pour tout le monde, car ces citoyen.ne.s sont aussi les premiers impactés par leurs mesures.

Le confinement a décalé la 7ème et dernière session, prévue début avril 2020. Néanmoins, une session exceptionnelle a eu lieu, par visioconférence, pour discuter et décider de quelle serait la contribution de la Convention Citoyenne pour le climat au plan de sortie de crise.

“Nous nous exprimons, car la crise que nous traversons n’est apparemment pas sans lien avec le dérèglement climatique et la dégradation de l’environnement.” “Nous nous exprimons, car il est urgent d’agir pour construire demain.” “Nous nous exprimons, car c’est notre devoir de citoyens de la Convention.”

Les 150 sont une fois de plus la preuve que les solutions peuvent aussi venir du peuple, de la délibération et de la démocratie.  Nous ne pouvons attendre des catastrophes (comme aujourd’hui) ou des déstabilisations politiques pour se mettre d’accord, être capable de coopérer et de miser sur l’intelligence collective.

“Cette crise nous concerne tous et ne sera résolue que grâce à un effort commun, impliquant les citoyens dans la préparation et la prise de décision. La participation citoyenne est essentielle, nous le voyons tous les jours dans les nombreuses initiatives de solidarité qui germent partout en France pour que nous puissions continuer à vivre presque normalement. C’est le moment idéal d’écouter et de prendre en compte les remarques des citoyens pour la construction d’une société future.”

Pour conclure cette newsletter, on vous laisse avec ces trois vidéos, mais vous pouvez retrouver toutes nos interviews, dézap’ des sessions et témoignages, sur notre compte Citoyens Reporters.

C’est aussi à nous tou.t.e.s de monopoliser la conversation, de parler de la Convention, des 150... nous avons jusqu’à 2030 pour faire une bascule radicale !

Alors profitez du prochain apéro skype pour commencer à en parler avec vos proches, on vous a même fait un jeu des 7 familles pour aborder le sujet de façon décalée !

A très vite !

L’équipe Citoyens Reporters / On Est Prêt

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